Les métiers (in)accessibles aux daltoniens

Par Nicolas Deleplace

Une crainte majeure des daltoniens et de leurs parents est celle de voir des portes professionnelles se fermer à cause du daltonisme. C’est effectivement une idée reçue très répandue que le daltonisme est un frein pour de nombreuses carrières. Nous verrons ici ce qu’il en est réellement et les métiers qui sont vraiment interdits aujourd’hui aux daltoniens.

Une croyance populaire

La croyance générale est que, si un métier nécessite l’utilisation des couleurs, il est exclu qu’un daltonien puisse l’exercer. Les personnes qui affirment cela sont souvent les mêmes que celles qui se demandent comment un daltonien peut faire avec les feux rouges ! (On se repère à la position de la lumière). En réalité il suffit bien souvent de pouvoir différencier certaines couleurs, ce que le daltonien peut faire dans bien des cas. Nous allons voir maintenant certains cas pour lesquels le daltonisme semble rédhibitoire.

Electricien, électroniciens

Oh mon dieu des fils de couleurs ! Mais tu vas tout faire sauter si tu inverses le bleu et le rouge ! Premièrement, un daltonien différencie très bien le bleu du rouge (opposés sur le spectre des couleurs). Ensuite pour ce qui est de l’électricité basique, la majeure partie du temps les couleurs sont assez distinctes. Même le rouge et le vert ! Les rouges sont souvent très foncés et les verts très clairs.

On différencie bien les 3 couleurs et il est facile de les nommer quand on sait qu’il y a du rouge, du vert/jaune et du bleu

Là où ça se complique, c’est pour les câbles de télécom. Avec ses 8 couleurs, impossible de s’y repérer. Impossible ? Sans faire d’effort, oui. Sinon, il existe des câbles repérés par des formes (traits, etc.).

Mais pour les installations existantes ? Là, c’est une autre paire de manche. Le plus simple est souvent de demander un coup de main le temps de repérer les câbles. Une autre solution peut être l’utilisation d’une application telle que chromaglass sur iOS. Sinon, il existe des lunettes et lentilles pour corriger le daltonisme qui permettent de différencier les couleurs (ces lunettes feront l’objet d’un prochain article). Entre 300€ et 1500€ en règle générale : c’est un investissement qui peut se révèler « rentable » lorsqu’il s’agit de l’activité professionnelle.

J’ai souvenir d’avoir lu le témoignage d’un daltonien travaillant en bureau d’étude qui devait réaliser des schémas de câblage, notamment pour des avions. Il disait connaitre les couleurs à utiliser et savait à quoi elles correspondent sur son ordinateur dans la palette des couleurs en valeur RVB.

Il suffit de connaître les proportions Rouge/Vert/bleu de la couleur voulue (chaque couleur ainsi utilisée est enregistrée)

Métiers de laboratoire

Cette catégorie de métier est très vaste, cependant la problématique reste la même : savoir reconnaître des composés grâce aux couleurs. Que ce soient des réactions chimiques, des fragments de roches, des spectres d’émissions ou autres, on pourrait penser que le daltonisme représente un frein total.

On se souvient bien sûr de la difficulté en cours chimie au lycée à reconnaître un élément grâce à la couleur d’une réaction

Cependant, encore une fois un daltonien peut contourner ces difficultés. Il peut, comme expliqué précédemment, utiliser une application mobile ou des lunettes corrigeant le daltonisme. Il existe maintenant beaucoup de logiciels informatiques qui permettent d’évaluer automatiquement les couleurs présentes. Le daltonien ne verra certes pas de lui-même les particularités mais il pourra les relever.

Pour ces métiers tout dépend du besoin : certains ne vont même pas faire appel aux couleurs. Pour le recrutement, il n’existe pas à ma connaissance d’interdiction légale pour les daltoniens à ce niveau. Si un daltonien veut donc exercer dans un laboratoire, il devra donc être renseigné sur les besoins et avoir des réponses dans sa manche pour contrer les appréhensions du recruteur.

Métiers de tri

A l’instar des métiers de laboratoire, les métiers de tri peuvent être impactés par le daltonisme. On pense notamment aux personnes chargées de différencier des objets à leurs couleurs.

Bananes de la plus mûre (à gauche) à la moins mûre (à droite). La différence peut-être très difficile à faire selon le daltonisme

Pour ces métiers, je ne vois que 2 solutions possibles :

  • Des lunettes correctrices
  • Une adaptation du contexte de travail. J’entends par là une différenciation des produits par autre chose qu’une couleur. Cela peut-être un code comme le système ColorAddR ou par une différenciation par des formes. Bien entendu, il sera difficile d’appliquer ces systèmes dans des proffessions qui se rapportent au tri des fruits et légumes.
Couleurs basiques avec le code ColorAddR

Artistes

Pour l’art tout est question de perspectives et de choix. Certains peintres daltoniens ont fait le choix d’abandonner la couleur de leur peinture lorsqu’ils ont découvert leur daltonisme. C’est le cas de l’américain Peter Milton ou le français Charles Meryon. Ces peintres ont donc principalement peint dans des nuances de noir et blanc.


Charles Meryon, Pont-au-change, Paris, 1854

Il est même avancé que Van Gogh ait lui aussi été daltonien ! C’est un scientifique japonais qui a avancé cette théorie au regard de l’utilisation des couleurs de l’artiste qui paraissent très particulières aux non daltoniens mais sont plus naturelles pour un déficient des couleurs. Le huffingtonpost a rédigé cet article intéressant sur le sujet.

Certains peintres, comme Jean-Pierre Burgeot (Alias JPIER) font du daltonisme une force. Celui-ci affirme que l’utilisation des couleurs autres que les primaires sont le fruit de son imagination et que c’est donc la réalisation d’un rêve d’artiste. Le britannique Neil Harbisson, achromate, parle de sa vision en nuances de gris comme étant un avantage, il est plus attentif aux formes et à la lumière, ce qui lui donne un point de vue spécial et novateur.

Je remercie J PIER pour m’avoir permis d’afficher ce tableau et pour m’avoir éclairé sur son travail.

Des photographes comme Cameron Bushong ou l’auteur du blog colorblindedphoto font également de leur daltonisme une force et un argument de vente. Bien souvent, le daltonisme ne représente donc pas une tare dans les métiers artistiques mais plutôt un atout !

Métiers du textile, de l’infographie, de la vidéo et de l’imprimerie

Ce point sera plus court car les problématiques et leurs solutions ont déjà étées abordées plus haut.

Pour les métiers de la création, la vision est la même que pour les artistes, le dyschromate peut choisir de faire une force de sa différence.

Pour les autres métiers, qui traitent tout de même des couleurs, encore une fois les dispositifs de corrections et les logiciels permettront de pallier le manque de discernement des couleurs.

Malgré cela, un point particulier qui peut être soulevé est l’adaptation des créations (textiles, documents, sites internet, programmes, etc.) pour les rendre agréables aux daltoniens. Je rentrerai dans le détail de ce sujet dans un autre article. Cependant, dans ce cas être daltonien peut donc être un atout pour jauger de l’accessibilité.

Les métiers réellement interdits

Les métiers de l’armée

C’est l’un des cas les plus spécifiques. En effet, l’armée utilise le classement SIGYCOP pour évaluer les capacités physiques et mentales. Chaque lettre de l’acronyme correspond à un profil. Celui qui nous intéresse principalement est le C (sens chromatique). Nous ferons aussi un parallèle avec le Y (yeux et vision). Après des tests, les aptitudes sont évaluées de 1 à 6 ce qui donne un score à 7 chiffres pour chaque candidat (par exemple 2312231).
Pour chaque métier et lycée de la défense, un score minimal est requis. (exemples : officiers 2224320, parachutiste 2123321, école Polytechnique 3335432).

Mais comment sont évaluées ces capacités?

Chacune à son système de notation. Pour le sens chromatique, il se détermine comme suit :

Direction centrale du service de santé des armées, Instruction N°2100/DEF/DCSSA/AST/AME relative à la détermination de l’aptitude médicale à servir, article 335, tableau III

Le test de capacité chromatique professionnelle (TCCP) sert pour préciser la différenciation de certaines couleurs utilisées dans des métiers spécifiques. Cela permet à des daltoniens, même fortement affectés, d’accéder à certains métiers. Pour en savoir plus sur les tests cités dans le tableau, voir l’article Détecter le daltonisme.

Interdiction nécessaire ou aberration?

Ces résultats sont clairs et précis, cependant, j’aimerai ajouter un avis personnel. Si on regarde le tableau de détermination pour le Y (yeux et vision) on remarque qu’il est possible d’avoir des résultats avec et sans correction.

Direction centrale du service de santé des armées, Instruction N°2100/DEF/DCSSA/AST/AME relative à la détermination de l’aptitude médicale à servir, article 313, tableau II

Or il existe maintenant des corrections pour le daltonisme, ce qui n’est pas pris en compte dans le tableau. J’ai écrit à la direction centrale du service de santé des armées afin d’approfondir sur le sujet, je mettrai l’article à jour lorsque j’aurai reçu une réponse.

En revanche, certains métiers comme pilote de l’air nécessitent une vision de 10/10 sans correction et sans opération. On se doute donc que le daltonisme même corrigé ne sera donc pas accepté.

En conclusion, il ne faut pas se faire d’a priori sur les métiers de l’armée, il faut commencer par se renseigner sur le score requis au métier auquel le daltonien aspire.

Métiers de la sécurité du réseau ferré national

Ici aussi l’aptitude à prendre ses fonctions est liée à un cadre légal. C’est
l’Arrêté du 30 juillet 2003 et ses annexes qui demandent aux aspirants aux métiers de la sécurité du réseau ferré de réussir un test d’Ishihara et « éventuellement par d’autres explorations ».

Quels sont les métiers visés?

Ces tests concernent les métiers de conducteur et les « fonctions de sécurité ». Pour autant, il peut être difficile de déterminer quelles fonctions sont dites de sécurité. En cas de doute, le plus simple est de prendre contact avec un recruteur et de lui poser la question.

Encore une fois, la possibilité de passer les tests de visions avec des lunettes correctrices m’amène à penser que le test d’Ishihara pourrait également être effectué avec des lunettes corrigeant le daltonisme. J’ai également contacté le ministère des transports pour entamer des démarches visant à intégrer les daltoniens dans ces métiers.

Et pour les autres métiers ?

J’ai essayé de balayer dans cet article un spectre assez large de métiers qui sont souvent décrits comme inaccessibles aux daltoniens. Le but est de prouver que pour beaucoup d’entre nous, la volonté représente souvent un facteur qui permet de surmonter les difficultés. Ce qu’il faut retenir, c’est que seuls les métiers réglementés ou liés une loi interdisant strictement le daltonisme sont réellement inaccessibles aujourd’hui. Mais même dans ces métiers les choses peuvent évoluer, les règles peuvent évoluer, l’accessibilité aux daltoniens aussi. Pour les autres métiers : soyez futés ! Et si vous avez besoin d’aide pour chercher des solutions ce blog est là pour ça !

Merci d’avoir lu cet article, j’espère qu’il vous a plu. N’hésitez pas à le partager sur vos réseaux sociaux et à cliquer sur le bouton “j’aime”.

Je n’ai bien entendu pas expérimenté tous les métiers cités dans l’article et me suis beaucoup basé sur des recherches et réflexions personnelles. Si vous avez des remarques, des interrogations ou si vous voulez partager des expériences personnelles, je serai heureux de vous lire en commentaires.